Textes
- JEAN PAUL GAVARD- PERRET – La réalité sans image, 2018.
- BERNARD PIERRON, « Pli selon pli » 2015 – Galerie Jonas.
- LOUIS BERNARD, Collectionneur, 2014.
- LOUIS BERNARD, Collectionneur, Traduction Allemande par Anna Hartmann, 2014.
- CHRISTIAN NOORBERGEN, Exposition Propriété caillebote, 2013.
- LYDIA HARAMBOURG -La Gazette de Drouot n° 5 – Le paysage pluriel, 2011.
- LYDIA HARAMBOURG- La Gaztte de Drouot n° 34 – Un paysage mental, 2009.
- BERNARD PIERRON, La brume révélatrice, 2006.
- HENRI RAYNAL Aubes.
- HENRI RAYNAL Morgendämmerungen, traduction en allemand par Andreas Gabriel.
- HENRI RAYNAL Daybreaks, traduction en anglais par Andres Gabriel.
Michèle Iznardo : la réalité sans image
Le paysage pour Michèle Iznardo n’est pas la morphologie de sa peinture. Son ambition est plus métaphysique car liée à l’idée et la nature même de la peinture. Il existe sans doute des montagnes et des eaux comme dans le « Chajnsui » chinois. Mais à l’inverse de l’adage de Confucius selon lequel « l’homme de bien se plaît dans les montagnes, le sage devant les eaux » ; la créatrice a mieux à faire : du paysage elle tire l’intention du langage et son défi.
L’œuvre au noir se sert des masses non pour mettre en scène une figuration ou une information mais afin de créer des rapports entre des pans souvent sombres. Ils deviennent la pierre d’achoppement des tableaux. Par leur modelage Michèle Iznardo déplace le centre de gravité classique de l’ordre pictural. Une matrice dynamique et « avènementielle » crée un enchantement particulier qui se moque de la séduction décorative ou référentielle.
Les forces visuelles en présence font masse pour créer un surcroît d’œil sous l’emprise de la peinture et non de la géographie. L’artiste crée une injonction (« regarde ») et une méthode pour traiter la sensation visuelle sans la coloniser avec d’autres histoires ou des narrations. Car si pour des peintres – on pense à Myonghi par exemple – s’installer devant une toile comme devant un paysage est du même tabac, la créatrice évite cette erreur.
Elle appelle à d’autres abords et d’autres prises. Il s’agit de gagner du « terrain » en perdant des repères terrestres. La peinture est à la recherche d’autres équilibres ou déséquilibres. La ressemblance n’est donc qu’accessoire. Elle peut parfois jaillir mais comme non recherchée, et en conséquence comme une chose belle et étrange. Toutefois il ne s’agit plus de voyager sur l’apparence mais dans un corps aimé à la recherche de ses vides et de ses pleins.
L’éventuelle ressemblance n’est faite que de plongées, d’écrabouillements, d’osmoses au moment où l’artiste est en quête de ses propres firmaments intérieurs. Les heures qu’elle sait passer devant ses toiles sont celles que le marin consacre à la contemplation de la mer. Mais pour elle cueillir l’espace ne revient en rien à embrasser l’apparence.
C’est pourquoi les yeux de l’artiste savent vaquer sans voir : ils traquent l’attente, connaissent le suspens, saisissent la force des mondes intérieurs d’errance dans le noir et jusqu’à ce que la blancheur braque à nouveau sa lampe, chemine, bivouaque. Si bien qu’en noir et blanc l’artiste se rapproche de ce que Cézanne évoquait dans une lettre à Emile Bernard : « les sensations colorantes qui donnent la lumière sont cause d’abstraction ».
L’œuvre est donc une suite de faux paysages et bien plus que des épures. L’artiste ne peint pas le monde mais son préalable ou son après. Les conditions de sa naissance, ses élans, sa tectonique. Elle traque le monde quand il bifurque ou lorsque l’air pèse. Nous sommes – loin des éphémérides de la nature – dans la peinture. S’y joue des jaillissements noués à l’ombre et la lumière, près de la réalité sans image.
Michèle Iznardo s’éloigne des éléments vus pour ce qui se peint. Et ce en un processus qui ôte le monde de la façon dont il se présente. Existe là une filature, une attirance. Elles sont la raison même le la peinture par la fouille du noir, son décorticage.
Le pinceau dessine et peint, crée des mises en rapports par ce que l’artiste sépare du paysage pour en franchir le seuil et pousser son langage plastique vers un absolu par abstraction de toute ressemblance. Quand au monde, il suit. S’il le peut.
Jean-Paul Gavard-Perret, 2018
Michèle Iznardo : « Pli selon Pli »
Les œuvres de Michèle IZNARDO présentent chacune une superposition différente de fragments imbriqués.Fragments d’espace mais aussi de temporalité, en strates distinctes et liées, tenues toutes ensemble par registres étagés, ou se dédoublant en profondeur au sein d’un même espace selon des plans toujours identifiables.Ainsi, tel un origami, plis et replis invisibles de la mémoire se déploient comme une fleur de papier japonais à la surface du tableau.
Parmi ces fragments,entre nuit et brouillards, des images ressurgies, d’une présence intacte, résistantes comme des pierres à l’effacement du temps, sorte de grumeaux persistants dans la pâte du visible, voisinent avec leur contraire : visions diaphanes,dématérialisées par la mémoire, réduites par le temps à leur principe, à leur schéma de paysage; d’autres recèlent des gouffres d’ombre d’ où émergent par éclats des formes indécises ; d’autres encore supportent le poids inattendu d’un rocher isolé comme un météorite .Toutes sont rassemblées en chaine comme des paperolles, « cousues » les unes aux autres.
La stratification rendue visible, ou structuration en registres, qui n’infère pas une succession comme dans les prédelles médiévales, mais bien au contraire une présence simultanée de tous ses éléments, si elle n’est pas exclusive dans la production de Michèle IZNARDO, permet de bien rendre compte de la diversité et de la complexité de ses composants, qu’on retrouve,autrement agencés par ailleurs, dans toutes ses œuvres.
De ses travaux, la seule énonciation de principe des fragments d’espace- temps qui en fournissent la matière mentale ne saurait rendre compte sans noter l’étonnante diversité d’expressions que leur confère son invention technique et dont elle combine les variations avec une maitrise consommée.
En premier lieu, il convient de s’attarder sur son usage bien particulier et si diversifié du fusain et de son estompe, (qui n’est pas sans rappeler son usage passé des écrans de calque) :voile insaisissable et changeant, entre lumière déclinante et silence nocturne , qui s’ étend, pèse, ou s’insinue entre les formes, tantôt les faisant apparaitre a demi, comme émergeant des profondeurs de la terre, tantôt circulant comme un brouillard vagabond, ou ces esprits pérégrins chers à l’antiquité « petite brume errante, caressante, hôtesse provisoire de l’esprit et du corps »…
A cette ombre envahissante et génératrice à la fois, elle oppose le graphisme clair et tranchant qu’on lui connait, superposant dans un vide apparent les évocations graphiques de ses montagnes familières, et créant, à lui seul,désaltérant comme une aube, un monde flottant de plans qui avancent ou reculent aux yeux du spectateur. Reprises également sur l’ombre par gommages ou par effacement au chiffon, elle ménage encore des échappées de lumière, des « trouées » de blanc, comme les nuées de la peinture chinoise qui, par bancs,établissent en les séparant les plans du paysage.
Enfin, elle introduit des ruptures traumatiques par les déchirures de collages surappliqués, ou les masses impromptues de rochers qui surgissent, interrompant le parcours du regard.
Tout ce travail essentiellement graphique, fils de la rêverie poétique autour du paysage, avait besoin d’un peu de chair, de « couleur », que lui offre l’emploi si particulier que Michèle IZNARDO fait de l’huile , mis au point dans ses travaux sur calque, qui joue du caractère absorbant du papier en intervenant à la fois dessous et dessus. Comme dans un manuscrit palimpseste, on peut ainsi appréhender simultanément une source rythmique souterraine et son contrepoint de surface, souvent obtenu par frottis, qui confère à ses travaux une coloration chaude qui leur ferait autrement défaut.
Comme la petite secousse d’un pavé inégal réveille des images enfouies dans la mémoire et enclenche un long processus de création, une petite brume de montagne, transparente et têtue, « dévoile, pli selon pli, pierre à pierre »,le souvenir de temps et de lieux oubliés.
Bernard PIERRON, Mars 2015.
Michèle Iznardo
L’art, a dit quelqu’un, fut inventé par l’homme pour dire l’indicible.
Dire l’indicible ! Aporie, contradiction insurmontable qui devrait inciter les écrivains de l’art à une prudente réserve, et à beaucoup de modestie. Alors à qui se fier ? Certainement pas aux artistes à qui Goethe fit cette recommandation.
« Crée, artiste, et ne parle pas »
Michèle Iznardo semble avoir entendu. Elle ne se demande pas si « Le noir est une couleur ? », irritante question qui a pourtant hanté les plus grands parmi ses confrères : Matisse surtout , pourtant coloriste parmi les coloristes, …Manet dont on connaît pour le noir des faiblesses d’amant passager mais ardent ; aujourd’hui Soulages « grand rêveur du noir » .
Elle ne se le demande pas car elle se trouve parfaitement à l’aise dans les noirs qu’elle module à son gré Et si d’aventure elle y adjoint un soupçon de couleur, ce n’est pas coquetterie , comme elle se piquerait une fleur dans les cheveux, mais parce que cette adjonction s’est imposée à elle, comme une nécessité pour son espace pictural Et, miracle ! le noir tout autour ( on devrait dire les noirs tant l’artiste excelle à le nuancer) accepte cette timide audace. Mieux, il l’assimile, l’exalte, la glorifie.
Mystère de la création chez une artiste dont l’authenticité n’a d’égale que la mesure !
Louis Bernard, 2014
Michèle Iznardo
Die Kunst, so sagte jemand, wurde vom Menschen erfunden, um das nicht Sagbare auszudrücken.
Das Unsagbare sagen! Eine Aporie, eine nicht überwindbare Widersprüchlichkeit, die einen jeden, der über Kunst schreibt, zu vorsichtiger Zurückhaltung und Bescheidenheit anregen sollte. Wem also kann man trauen? Bestimmt nicht den Künstlern, denen Goethe folgenden Rat gegeben hat:
„Bilde, Künstler, rede nicht!“
Michèle Iznardo scheint das gehört zu haben. Sie fragt sich nicht: „Ist Schwarz eine Farbe?“, eine irritierende Frage, die trotzdem das Denken der größten unter den Künstlerkollegen beherrscht hat: allen voran Matisse, auch wenn er ein Kolorist unter den Koloristen ist,… Manet, von dem man für das Schwarz die Schwächen eines vorübergehenden, aber glühenden Liebhabers kennt; heute Soulages, „großer Träumer des Schwarzen“.
Sie stellt sich nicht diese Frage, denn sie fühlt sich absolut wohl in den verschiedenen schwarzen Tönen, die sie beliebig moduliert. Selbst wenn sie wie zufällig ein Tröpfchen Farbe hinzufügt, ist das nicht Koketterie, so wie sie sich eine Blume ins Haar stecken würde, sondern dieses Hinzufügen hat sich ihr aufgedrängt, es ist notwendig für ihr malerisches Werk. Und, oh Wunder! das Schwarz drumherum (man müsste sagen, die schwarzen Farbtöne, so sehr beherrscht die Künstlerin die Nuancierung) nimmt diesen zaghaften kühnen Versuch auf. Besser noch, es wird verschmelzt, verstärkt und verherrlicht.
Geheimnis der Schöpfung einer Künstlerin, die ebenso authentisch wie gemäßigt ist!
Louis Bernard (Übersetzung ins Deutsche : Anna Hartmann), 2014
Exposition Propriété Caillebote
Michèle Iznardo ne décrit jamais. Le dehors n’est pas son fort. Le monde souterrain s’empare lentement de la surface, et la surface semble disparaître… S’impose une profondeur assombrie, palpable et saisissante. S’y voient d’impensables paysages où l’intérieur agissant ne cesse d’absorber les apparences. Des labyrinthes verticaux, aérés, enchevêtrés et chaotiques font vivre une étendue qu’on dirait fouillée et faillée, traversée à cru de brûlures vitales, de soubresauts terrestres, et de traits acérés. Il n’y a plus de distance.La présence immédiate et pure est là, et même les lointains ont disparu, toujours déjà noyés dans l’impérieuse proximité de signes graphiques incroyablement divers, au registre inouï, et sidérants d’impact. Infinies sont les passerelles, en ce pays d’opacité…Prodigieuse gamme de noirs et de gris dans ces sublimes falaises mentales. Apparitions-blancheurs, en traces ténues. Blancheurs passantes, comme d’imperceptibles ailes mentales. Il n’y a plus d’horizon, l‘horizon est partout. Les critères de l’immense et de l’infime se conjuguent. Microcosme et macrocosme ne font plus qu’un. Ici, l’univers n’existe qu’au dedans, et l’impensable du réel se terre à l’intérieur…
Des lignes aventureuses, inventives et libertaires, structurent durement l’espace. Des masses aiguës durement signalées, d’âpres striures toujours mordantes, et de compacts noircissements prennent l’étendue à leur compte. Une implacable maîtrise formelle impose un fabuleux désordre arrêté, comme en suspens, hors durée. Temporalité pétrifiée. D’étranges et fantomatiques surgissements humains marquent çà et là l’éternelle inguérissable présence du corps, seul lieu de vie habitable dans la nuit infinie de l’univers. A travers les fragiles tressaillements de la lumière, Michèle Iznardo ose faire parler l’opacité : l’opacité prend l’espace, et l’espace est possédé. Des forces incontrôlables ne cessent d’émerger, pour être pour un temps partiellement contrôlées.On voit poindre des territoires d’inquiétude, et quelque chose d’interdit semble parfois flotter…
Grande, dans cette œuvre, la prise de risques humaine et plastique. Le chamanisme n’est pas loin. Il couve dans la subtile intuition – jamais d’excès dans cet art dense et pudique – des relations immanentes et magiques qui se créent entre les tensions telluriques d’une nature essentialisée et les sources inconnues du mental enfoui. Les grands signes d’espace de Michèle Iznardo envoûtent l’étendue. Ils enserrent comme dans un étau les signes charnels qui tentent d’exister. Déploiement bloqué au sommet de son intensité.Harmonie piégée. L’œuvre d’art naît de ces contradictions vitales, et de ces batailles d’espace. Etrange respiration d’univers.
Venues du tréfonds du mental inexploré, les choses secrètes du monde inconnu et de la vie intime semblent venir se déposer sous la surface. Du bas vers le haut. Sédimentation à rebours, où la trame du dedans vient maculer de mystères l’apparente réalité du dehors.Des agrégats de matières, d’archaïques tensions premières et de silencieux chocs d’étendue signent l’existence d’un drame souterrain.Quelque chose du magma humain, traversant ces squelettes de paysages, semble sourdre du profond de l’œuvre. L’autre du monde et l’autre de soi fascinent Michèle Iznardo. Son art vertical, envoûté et ténébreux, expérimente la lente montée vers la lumière d’un regard né des ténèbres.Dans cette issue étranglée, âpre et serrée, obscurément tamisée, vibrent ici et là les cordes désarticulées des drames vécus de notre monde. Grand dessin sabre l’étendue. Sur socle d’abîme.
Christian Noorbergen
Michèle Iznardo : Le paysage pluriel
La récente parution d’un livre illustré de dessins de Michèle Iznardo donne l’occasion d’exposer des œuvres sur papier de l’artiste. L’économie de moyens est compensée par la complexité de son travail qui s’appuie sur tout un jeu de recouvrements et de dévoilements subtils, introduits par un réseau linéaire. Le visible porte sa part de mystère. Face au paysage, toujours fuyant, instable, l’artiste propose sa vision d’une image vulnérable sous l’emprise d’un réalisme trop contraignant pour qu’elle lui oppose une déclinaison de propositions plastiques. Chaque dessin s’en fait l’écho. Entre le sujet et son regard, la ressemblance se glisse sur la surface de la feuille devenue le réceptacle d’une autre réalité. Elle interroge l’espace et sa capacité à absorber et à dévoiler la forme, appelée à se métamorphoser sous l’emprise du fusain. Médium privilégié, le charbon offre un registre de blancs et de noirs inépuisables. Grave, alerte, insouciant mais déterminé dans la conduite de la ligne, son geste écrase, frotte la matière, pour des transparences poudreuses ou une densité ténébreuse, le blanc de titane, de zinc, d’argent, des noirs de payne, d’ivoire, de fumée. Un trait énergique vient renforcer la structure d’un paysage, à moins qu’il ne reste vague et lointain, déstabilisant notre regard. Michèle Iznardo est toujours à la fracture de l’énoncé et du supposé. Le système de superpositions qui fonctionne à la façon d’écrans contribue à cette simultanéité visuelle en introduisant un mouvement. Son paysage est autant mental qu’irréel.
Lydia Harambourg,
La gazette de l’hôtel Drouot-4 Février 2011-n°5.
Michèle Iznardo : Un paysage mental
Michèle Iznardo interroge le paysage à partir de la ligne qui cerne sans décrire.
Avec sa récente série de fusains, celle-ci se fait encore plus allusive, plus mystérieuse dans son dialogue avec la nature. Suspendue entre le va-et-vient de son regard, et la main qui restitue la simultanéité des plans, la ligne s’efface devant des masses d’une densité particulière qui met en abîme l’espace visuellement palpable.
Dans un format vertical, qui renforce l’illusionnisme de la capture de son sujet, Michèle Iznardo recourt à des superpositions de formes évoquant le ciel, les montagnes, les nuages dont elle renforce l’interaction par des juxtapositions de matières fusain-huile ou encore fusain-collage. Ce travail de recouvrement et de dévoilement tend à la transparence de la surface qui garde les traces d’une mémoire pérenne, par le jeu adouci et en profondeur des jus dilués, des ombres foncées jusqu’au noir et toute une déclinaison de blancs de zinc, d’argent, de titane, de gris de payne, d’ivoire, de fumée. Illusoire est aussi la ligne d’horizon dans ces paysages vécus de l’intérieur dont l’artiste nous révèle l’intime beauté.
Ni abstraits, ni réalistes, ses dessins instrumentalisent le visible et l’invisible. Tantôt graves, tantôt élégiaques, les dessins de Michèle Iznardo transcrivent un espace qui est plus important que la chose représentée. Un regard sur l’espace, exigeant parce qu’un espace où s’absorbent notre regard comme notre pensée. Un espace où se dévident l’imaginaire vagabond et la mémoire gardienne du geste qui reprend au crayon les traces d’un réel complexe.
Lydia Harambourg, La Gazette de Drouot n° 34, 2009.
MICHELE IZNARDO, Huiles sur calque: la brume révélatrice.
Michèle Iznardo a partagé sa vie de peintre entre l’Espagne et la France ; elle en nourrit à parts égales son travail qui empreinte à l’Espagne sa tradition la plus hautaine : gris de cendre, noir et blanc, graphisme tranchant et définitif, et retient de la tradition française son souci de mise à distance et sa pudeur poétique.
Il en résulte des œuvres en apparence discrètes et un peu distantes, pleine d’autorité et de gravité contenues, mais qui témoignent surtout d’un sentiment particulièrement poétique de l’espace, semblant donner corps à de fugitives réminiscences, comme la brume du petit matin révèle les éclats isolés du monde englouti par la nuit.
Ses débuts consacrés à l’immersion dans le paysage l’ont placée durablement sous les auspices de la réflexion cézannienne, dont on peut retrouver les échos et les conséquences.
à travers des options qui paraissent pourtant bien divergentes, fondées sur des moyens bien différents, et en apparence opposés.
Tout d’abord, le souci de profondeur, qui l’amène quant à elle à écarter la couleur pour explorer la transparence et la superposition d’écrans laiteux comme des rideaux de brume ou de brouillard -dans un premier temps pour établir des plans à la manière chinoise- au moyen de calques qu’elle travaille à l’huile, dessous et dessus.
But affiché et usage du matériau peuvent paraître simples, si l’on s’en tient au niveau premier, purement opératoire, sans tenir compte de l’immense champs poétique qu’ils ouvraient ni des développements qu’ils ont connu dans la suite de l’oeuvre … et si l’on oublie que Giacometti,dont on ne peut jamais prendre les assertions à la légère (mais pas non plus au premier degré), était persuadé que « toute sa vie Cézanne avait cherché la profondeur », exactement comme il disait de lui-même « qu’il recherchait avant tout la ressemblance » ; ni l’une, ni l’autre, bien évidemment, ne peuvent être prises au sens premier ou classique, mais au sens moderne d’une recherche d’équivalences visuelles qui, rompant leur adhérence à l’enveloppe des choses, en donneraient un témoignage à la seconde puissance.
Et l’usage que fait Michèle Iznardo du calque permet précisément la mise à distance des sollicitations superficielles, en couvrant symboliquement les « bruits » du monde. Il contribue à l’autonomisation des masses figurées – comme le brouillard fait surgir des fantômes- mais surtout participe à établir à la fois leur organisation spatiale et leur dépendance mutuelle, sans que les formes ne s’éliminent l’une l’autre en se recouvrant tout à fait, comme dans l’univers perspectif.
Ce sont ces premières conséquences, plutôt organisationnelles, qu’elle exploite dans ses séries des « passages », équivalents d’architectures qui toutes ménagent une ouverture lumineuse ou au contraire recèle un puits d’ombre, sans que le regard n’y soit conduit directement ou impérativement
La réussite indubitable de ces constructions menaçait cependant, malgré leurs variations, de limiter ou d’interrompre le déploiement des possibles que l’évolution ultérieure du travail devait révéler. D’autant que le recours à l’architecture assurait une assise et une partition de l’espace graphique rassurante face à l’incertitude, à l’inconnu mouvant qu’incarne le brouillard… «C’était comme si on avait enlevé le monde »…
Mais ce voile insaisissable qui s’étend et s’insinue entre des formes qu’il contribue à abstraire, les transformant en chiffres silencieux, constitue aussi le lien qu’elles ont entre elles et les tient toutes ensemble. Or -encore Cézanne – c’est bien ensemble qu’en peinture s’envisagent espace et contenu.
Abandonnant progressivement la géométrie de masses stabilisatrices qui dominait dans les « passages », Michèle Iznardo expérimente peu à peu les qualités de lien de ses écrans de brume en superposant des évocations graphiques de paysages (souvenirs, fragments ou lambeaux de sierra familière), des zones d’ombre mouvante et les contours d’objets isolés par contre fermement définis. Ces objets à la présence récurrente ne sont autres que des coquillages, qui présentent, par nature, de troublantes analogies formelles avec les montagnes.
Tout est désormais en place pour passer de la juxtaposition, où un élément tend toujours à oblitérer les autres, à l’interaction qui produit un espace singulier.
Cela devra passer par un long travail d’intégration et d’échange de qualités, qui débouche aujourd’hui sur ces figures ambiguës et ambivalentes, à la fois montagnes et coquillages, transmuées par un dessin non plus fermé et cloisonnant, mais ouvert et rythmé comme une respiration, dans un monde flottant de plans qui avancent et reculent.
Bernard Pierron, fev.06.
Aubes
Michèle Iznardo demande tout au noir. Tout se passe comme si les divers gris et le blanc avec lesquels il cohabite émanaient de lui, s’extrayaient de lui. Comme si le noir était la matrice dont tout ce que nous voyons dans le paysage qui se propose, était issu. Sobriété et inventivité caractérisent cette artiste : l’extrême économie chromatique (si une petite zone se colore de jaune, c’est par exception) se conjugue avec une grande richesse technique. Sur le papier, Michèle Iznardo utilise tour à tour la pierre noire, le crayon, l’huile, le fusain, l’encre de Chine. Elle fait grand usage du collage et pratique à l’occasion le grattage avec le bois du pinceau. Souvent le blanc est celui du papier aux places où il est demeuré vierge – réserves qui appartiennent parfois aux fragments rapportés. Ainsi naît le paysage. Vaste et succinct. On n’y est pas assuré de savoir où prend fin la terre, où commence le ciel, ou bien en quoi consiste au juste telle grande zone qui précède, que domine, ce qui a l’allure d’une masse montagneuse. L’étroite parenté des éléments l’emporte encore sur leur distinction ; leur différenciation est à venir. C’est pourquoi est manifeste l’unité du visible. Ombre, gravité, silence – c’est-à-dire le climat de l’acheminement du monde vers le jour – contribuent à rendre cette unité sensible. Le sujet de Michèle Iznardo est l’étendue et ce en quoi, de façon discontinue, elle se ramasse et se condense : ce dont était gros, donc, l’Illimité ; ce qui vient saillir sous nos yeux ; ce qui semble, par exemple, être une pierre. Advenue là, tel le poing serré de l’étendue. Michèle Iznardo est fascinée par le minéral, à telle enseigne que les paysages ont été précédés de compositions circulaires, de tondos, où une pierre solitaire se trouvait mise à l’honneur. Dans un dessin récent, c’est un nuage qui prend corps, rejoignant un groupe de trois rochers, devenant l’un d’eux. J’ai proposé, par fusion de deux vocables, d’intituler cette œuvre Nuogers. Voyez le titre de cette autre : « Ils passèrent… de marbre et de fumée ». Qu’est donc ce noir dont tout provient ? Il est là pour la matière universelle, la matière cosmique, l’opacité illimitée. Michèle Iznardo se donne pour tâche de faire venir au jour les possibles. C’est ainsi que, la première, elle assiste à l’émergence des paysages qui se trouvaient contenus en puissance dans l’opaque et qui entreprennent de se dessiner. Le noir : gisement de paysages. « L’ombre est féconde. », déclare Michèle Iznardo. Et, se proposant à elle-même cette formule : « Partir de l’ombre et trouver la forme. »
Henri Raynal.
Morgendämmerungen
Michèle Iznardo ringt dem Schwarz alles ab. Es scheint, als sei es Ursprung und Ausgangspunkt der Weiß und Grautöne, mit denen es sich den Raum teilt. So als sei es die Matrix, von der alles, was wir in der sich abzeichnenden Landschaft sehen, abhängt. Nüchternheit und Einfallsreichtum zeichnen diese Künstlerin aus: extreme Farbreduktion (ein kleiner gelber Ausschnitt ist die Ausnahme) geht einher mit einem Reichtum an technischer Fertigkeit. Schicht um Schicht trägt Michèle Iznardo schwarzen Stein, Öl, Kohle, Tusche auf. Sie collagiert und setzt die Rückseite des Pinsels ein. Weiß ist bei ihr das Weiß des unberührten Papiers – Leerstellen, die manchmal für Fragmente freigehalten werden. So entsteht eine Landschaft, weit und karg. Man kann sich nicht sicher sein, wo die Erde aufhört und der Himmel anfängt. Auch ist nicht klar, woraus diese Weite hervorgegangen ist. Man weiß nicht, was dieses Gebiet, das an eine Gebirgslandschaft erinnert, bestimmt. Alle Elemente haben den gleichen Ursprung. Die enge Verwandtschaft erschwert eine Unterscheidung; ihre Differenzierung steht erst noch bevor. Das Wahrnehmbare zeichnet sich daher als Einheit ab. Schatten, Ruhe und Ernsthaftigkeit – das Klima einer Welt die auf dem Weg in Richtung Tag – erzeugen einen Eindruck der Uniformität. Der Gegenstand von Michèle Iznardo ist die Weite und wo diese sich, mit Unterbrechungen, sammelt und zusammenfließt: Orte, an denen die Unendlichkeit (zum Beispiel in Form eines Findlings) ins Auge sticht. Es sind die Punkte, wo die Weite greifbar wird. Michèle Iznardo ist vom Gestein so sehr fasziniert, dass sie in den Tondos, die Aubes voraus gingen, Findlinge ins Zentrum gerückt hat. In einem zuletzt fertig gestellten Gemälde nimmt eine Wolke inmitten einer Gruppe von drei Gesteinsbrocken Gestalt an und wird selbst zu Stein. Die Begriffe „nuage“ (Wolke) und „rocher“ (Fels) verknüpfend, habe ich den Titel Nuogers vorgeschlagen. Der Titel eines weiteren Werkes ist: „Sie vergingen… von Marmor und Rauch“. Was hat es nun mit dem Schwarz, von dem alles ausgeht, auf sich? Es steht für das Universelle, für kosmische Materie und ins Unendliche verschwimmende Weite. Michèle Iznardo macht es sich zum Auftrag, dies ins Tageslicht zu rücken. So wird sie, als erste, Zeugin der Entstehung von Landschaften voll dämmernder Macht, gerade im Begriff sich abzuzeichnen. Schwarz ist bei ihr die Lagerstätte von Landschaften. „Der Schatten ist fruchtbar“, erklärt Michèle Iznardo. Und fromuliert die Maxime: „Gehe vom Schatten aus und finde Formen.“»
Henri Raynal,
Traduction d’Andreas Gabriel.
Daybreaks
Michèle Iznardo calls on black for everything. The different tones of grey and white which fill the space of the painting together with it seem to stem from it, spring from it. It is as if black was the matrix from which all that one can see in the materialising landscape emerges. Reduction and imagination characterise this artist: a sparsity of colours (yellow spots are an exception) goes together with a wide range of skills. Turn by turn, Michèle Iznardo uses black stone, pencil, oil, Indian ink, charcoal. She makes use of collage and employs the other end of the brush. The white in her paintings is the white of spotless paper – empty spaces which are sometimes reserved for fragments. Thus landscape comes into being, vast and empty. One cannot be sure where heaven and earth end or begin. Neither does one know the constituent parts of the wide open space which dominates what seems to be a mass of rock. The direct kinship of the elements complicates distinction – their differentiation has not yet occurred. This is the reason for the integrity of the perceived. Shadow, gravity and silence, i.e. the atmosphere of a world on its way towards dawn, contribute to making this unity visible. The subject matter of Michèle Iznardo is vastness and where it comes together and is condensed in a discontinuous manner: places where infinity – in the form of an errant boulder – springs into the eye, where vastness can be grasped. Michèle Iznardo is so fascinated by stone that errant boulders were the centre of the circular pieces of art (tondos) which preceded Aubes. In a recent painting, a cloud materialises among a group of three boulders and becomes stone itself. Combining the terms nuage (cloud) and rocher (rock), I suggested the title nuagers. The title of another piece of her work is “They withered… of marble and smoke”. So what to make of the black which is the origin of everything? It is universal, cosmic matter, unlimited opacity. Michèle Iznardo has set herself the task to bring it to daylight. Thus she becomes the first witness of landscapes of opaque power which are just in the process of coming into being. Black is the deposit of landscape. “Shadows are fertile,” declares Michèle Iznardo. And she formulates the maxim: “start with the shadow and find form.”
Henri Raynal,
Traduction Andreas Gabriel.